Introduction to the work of NINIA SVERDRUP by Peer Golo Willi – francais

Coïncidences et autres nouvelles réalités

On peut approcher le travail de l’artiste Ninia Sverdrup de trois manières: à travers la réalité comme un fragment, à travers la réalité médiatisée par l’image et le son, et à travers le temps et l’espace. Cependant une même préoccupation y perdure: l’affrontement entre le hasard et le contrôle.

 

La série Scènes urbaines -IV-XII, 2005-2011- capte les faits quotidiens en milieu urbain ; en un premier temps, ces scènes banales sont simplement observées par la caméra fixe. La scène s’empare  d’un espace, non pas fugitivement enregistré, mais poursuivi avec persévérance. Les personnes et les voitures s’y déplacent, parfois, en tant qu’éléments autonomes, ils viennent et disparaissent.

 

Chacune de ces vidéos suit un temps sans coupe perceptible. La répétition de fragments de gestes isolés se perçoit avec une vague impression de déjà vu.

 

Cependant la trivialité de telles vedute contemporaines induit le fantastique lorsque y sont intégrés numériquement des éléments architecturaux en miroir, ce que le regard ne discerne qu’à la deuxième ou troisième vision.

 

La bande-son est retravaillée en atelier, en  discernant des bruits du réel tels que le tintement des bouteilles en verre, des clés de voiture, le bruit d’ouverture de portes recréés et ainsi liés aux faits , ils s’imposent comme concentrés voire exagérés, et quasi irréels.

 

Cette force sonore s’avère d’autant plus prégnante que la distance spatiale des gestes individuels demeure neutre. L’arrière-plan devient premier plan par l’acoustique.

 

Inversement, les sons de l’environnement sont annulés, et le trafic automobile comme les voix sont assourdis. Cela provoque un bruit de fond dérangeant, alors qu’il est à peine remarqué dans la vie quotidienne. L’atmosphère qui, paradoxalement, en résulte, grâce à cet effet d’irréalité, provoque une nouvelle réalité, concentrée et contrôlée, qui happe le regard du spectateur et sa perception vers une sorte de para-monde.

 

L’existence de l’absent, le silence et le vide s’avèrent. En effet, la perception du temps et de l’espace est modifiée, une perte apparente de la rationalité lui est inhérente, ce qui soumet le vide à une réévaluation, le mettant en perspective.

 

Ainsi Ninia Sverdrup, en engageant la dimension de temps et l’espace au cœur de son travail, y implique le concept de ma, fondamental dans la culture japonaise ; ce faisant, elle le rapproche des sensibilités et des concepts traditionnels de l’Occident, pour sa définition d’un espace non-statique et un temps non-linéaire.

 

Le Ma comprend les dimensions spatiales dans le cadre de la dimension temporelle et réciproquement, il est l’espace qui relie. Ninia Sverdrup suit le temps, l’insère dans un système de coordonnées spatiales. Son sujet est toujours pour ainsi dire la fusion des niveaux temporels et spatiaux en plan visuel.

 

L’artiste compile des fragments de la vie quotidienne dans une approche performative. Les actions routinières apparaissent comme simple documentation, non consciemment marqué par l’auto-observation, mais déterminé par la cartographie du temps.

 

Le minutage de ses vidéos s’apparente à du chewing-gum, qui après avoir été mâché/ travaillé,  serait méticuleusement scellé, étiqueté et archivé. Ainsi, l’artiste recrée-t-elle une situation de laboratoire dans lequel elle réorganise ou cherche à réorganiser les fragments de temps et d’action selon une expérience en cours.

 

Le cumul des fragments apparemment autonomes se lit également à la lumière des dessins de l’artiste. Dans Urban Rorschach: Terrasse, 2009, elle étire de grandes lignes à main levée au crayon dessinant les rues. Elle applique la peinture acrylique au rouleau pochoir, exhibant la divergence entre profondeur et bi-dimensionnalité. Le feuillage des arbres, en image en miroir, réclame plus qu’un rapide coup d’œil.

 

En outre, le titre de cette série de dessins revient à l’idée qui sous-tend les images en miroir, ainsi que les pièces vidéo, à savoir le principe du test de Rorschach, dont on sait qu’il entraine à évoquer, lors de tests de personnalité, des associations d’image à partir de taches d’encre ; Ninia Sverdrup le prend comme une méthode de transfert de l’image de la zone de hasard à celle du contrôle.

 

Dans sa pièce conceptuelle Min att Göra-lista de 2001, l’artiste a noté quatre tâches «nécessaires», ainsi que le jour et le lieu de leur achèvement, prévues sur plusieurs heures. La réalisation de ces tâches est consignée par écrit, en tant qu’entrées d’un journal. Ce journal constitue la preuve d’une perception linéaire du temps, mais la planification et la réalisation de tâches entreprises dans des créneaux temporels absurdes rend visible la recherche…..

 

Dans ce projet, elle a prolongé la durée d’attente dans un bureau de poste à tel point que l’achat de trois timbre-poste luit prit 8 heures. Durant lesquelles, des coïncidences non planifiées se sont produites, ainsi le comportement des employés, le choix des timbres etc. et elles étaient à sa disposition en tant que matériau pour la création contrôlée d’un temps nouveau. Dans cette pièce, a lieu une interaction entre contrôle et coïncidence ce qui est un aspect caractéristique de sa recherche artistique.

 

Désormais, on peut supposer que Ninia Sverdrup ne laisse rien au hasard, qu’il soit visuel ou acoustique, dans la contemplation sélective de son travail vidéo. Cependant, il s’avère que le hasard est son matériau source, qu’en le retenant et le manipulant avec des moyens artistiques, elle le soumet à son contrôle. Le processus complexe d’origination mentale dans son travail n’est pas toujours et nécessairement immédiatement visible, mais il devient évident, même si ce n’est pas à première vue.

 

Peer Golo Willi

 

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